La Famille Sherpa
La famille sherpa se compose du père, de la mère et des enfants. La création d’une famille est l’association de deux indépendances, et il n’est pas question qu’une Sherpani passe sous la dépendance d’une belle-mère.
Du fait des migrations saisonnières et de la dissémination des cultures, donc des absences de l’un ou l’autre, la vie du couple repose sur l’indépendance et la confiance, allant même jusqu’à faire parfois abstraction des liens et obligations qui unissent les couples.
Relations prénuptiales
Dans le respect de l’exogamie des clans, une liberté assez grande est laissée aux jeunes pour gérer leurs relations amoureuses, qui se passent dans la salle commune où toute la famille dort.
Entre garçons et filles, les jeux sont très libres et les plaisanteries très évocatrices.
Les rapports sexuels ayant lieu avant que les filles n’aient un cycle menstruel bien établi, les grossesses sont peu nombreuses mais elles sont prises avec beaucoup de sérénité par la famille.
Surtout ne pas prendre le Solu Khumbu pour une terre de débauche : en général, une Sherpani n’a pas plus d’un ou deux amants avant le mariage, et elles sont d’une pudeur farouche.
Le Sodène
Même si la famille prend l’initiative de préparer un mariage, la sherpani a toute latitude pour rompre un engagement qui lui déplaît, car il y a toute une démarche pour aboutir au mariage, démarche qu’elle peut stopper à tout moment.
La demande du père du garçon au père de la jeune fille est faite dans le cas où la demande est sûre d’être acceptée. Sinon, c’est un parent ou un proche qui fait la demande. La demande est accompagnée d’un tonnelet de bière.
- Les parents de la jeune fille repoussent la bière pour dire non.
- Ils l’acceptent en disant qu’ils vont réfléchir.
- Ils l’acceptent et la demande aussi.
Dans ce cas, le jeune homme passe de nombreuses nuits avec sa promise. Cette période pré-mariage peut durer des mois ou des années et n’implique aucune fidélité pour les deux fiancés, ni aucune obligation économique. La rupture des fiançailles n’est pas rare. Mais, comme tous les parents du monde, les parents Sherpas cherchent à influencer leurs enfants pour qu’ils fassent « un bon mariage ».
Les mariages entre Khambas et Sherpas sont assez fréquents, mais les mariages entre Sherpas et Khamendeu ne sont pas envisageables. L’exogamie des clans est absolue, et la consanguinité dans des mariages entre personnes de même ascendance maternelle est rare.
Le Dem-chang
Le Dem-chang est la confirmation de l’engagement du Sodène.
Le cortège des parents et des amis du fiancé (sans le marié), revêtus de leurs plus beaux vêtements et bijoux, porteurs de bouteilles et de tonnelets de bière, se dirige vers le village de la mariée. Une prière est dite par un membre important de la famille, et le cortège va s’installer dans la maison de la fiancée.
- De la bière est offerte.
- Le lama prononce une bénédiction.
- Deux jeunes gens offrent des katas (foulards) au père de la fiancée, à ses grands-parents, à ses frères, sa mère et autres membres de la famille et du clan, en versant de la bière.
Le père de la fiancée fait alors un discours annonçant que sa fille est dorénavant la belle-fille du père du fiancé. Le père du fiancé offre alors un bol de bière au père de la fiancée et lui remet un second kata. Les invités se mettent à danser, et l’alcool coule abondamment. Le fiancé est alors autorisé à rejoindre la fête, tandis que la fiancée ne danse pas.
La fête se poursuit chez chaque membre de la famille de la fiancée, avec des joutes oratoires très crues entre hommes et femmes. Un repas de riz et de ragoût est servi. Ce parcours peut durer jusqu’au matin et, si la famille est riche, reprendre pour une journée complète.
Le Dem-chang ne change pas les relations entre les fiancés, si ce n’est que les rapports légaux sont identiques à ceux après le mariage. En cas de décès de l’un des fiancés, le frère du fiancé ou la sœur de la fiancée deviennent propriétaires des droits établis par le Dem-chang. Rompre cet engagement entraîne le paiement de la même indemnité qui pénaliserait la rupture d’un mariage, le phijal.
Si, pour une raison quelconque, la fiancée vient vivre et travailler au domicile du fiancé, son travail sera rémunéré en vêtements et bijoux, le kissim.
Zendi (Le Mariage)
Le mariage intervient après le Dem-chang ou après deux autres visites rituelles de la famille du fiancé à celle de la fiancée : Ti-chang et Pe-chang. Dans les familles riches, ces visites peuvent être aussi fastueuses que le Dem-chang. Le Pe-chang est l’occasion de fixer une date favorable pour le mariage par le lama.
C’est seulement au mariage que la jeune fille quitte sa famille et reçoit une partie des biens qui constituent sa dot, propriété acquise pour la vie.
La veille du mariage, les parents de la jeune fille invitent parents et amis à présenter leurs cadeaux. Une liste de ces cadeaux est établie pour servir en cas de litige lors d’un divorce. Ces cadeaux sont la propriété exclusive de la mariée.
Jour 1
- Les invités du marié se réunissent dans la maison des parents, revêtus de leurs habits les plus luxueux.
- Un lama place une banderole décorée des signes du zodiaque (sipa-kolu) pour chasser les mauvais esprits.
- Le défilé du marié s’approche de la maison de la mariée. Pétards et coups de feu accompagnent l’arrivée.
- Tout le monde entre dans la maison de la mariée pour le thé et la bière. Le lama préside et un orateur évoque les difficultés de la vie.
- Les femmes servent le Yangdzi (boisson à base de thé et de bière). Chants et danses suivent, et des jeunes de la famille offrent des Yangdzi Kata, symbolisant de nouveaux liens.
Jour 2
- Les invités du marié reviennent à la maison de la mariée.
- La mariée porte de nouveaux habits et s’assied avec le marié en face du lama. Le manteau rituel Angi-tang-za leur est placé.
- Les mariés versent quelques larmes et boivent du thé. Le lama les bénit.
- Le père du marié rappelle à sa belle-fille ses devoirs : partager le lit de son fils, payer une amende en cas d’adultère, et ne pas céder aux avances d’autres hommes.
- Le père de la mariée fait de même avec le marié. La cérémonie se termine dans un grand vacarme de conques et de cymbales.
Le marié et son cortège partagent les frais de la cérémonie et de la tournée. La mariée se rend au domicile conjugal avec un cortège de jeunes filles portant la dot et les cadeaux, et restent trois jours dans la maison du couple avec boissons et danses.
Droits et Devoirs des Époux
- Fidélité réciproque.
- Les biens sont communs pour la durée de l’union.
- L’accroissement des biens est partagé en deux en cas de séparation.
- En cas de rupture unilatérale, une indemnité est due par le conjoint qui quitte le foyer.
Polyandrie et Polygamie
Les mariages polyandres impliquent souvent deux frères mariés à la même femme, arrangés pour éviter le partage des biens. La femme bénéficie d’une sécurité et d’un niveau de vie plus élevé grâce aux deux maris. Le mariage polygamique est rare et concerne parfois une veuve rejoignant la maison de sa sœur.
Relations entre Parents et Enfants
- Les enfants sont livrés à eux-mêmes dès qu’ils savent marcher, tandis que les parents travaillent.
- À huit ans, les enfants prennent en charge le bétail.
- Les fils n’ont aucune obligation économique une fois quittée la cellule familiale.
- Les parents comptent sur le fils cadet pour leur vieillesse.
L’Enfant Illégitime (Themba)
Un enfant est illégitime s’il naît hors d’un couple consacré par Dem-chang ou Sodène, ou d’une épouse en longue absence de son mari. Le père identifié qui refuse d’épouser la mère verse une indemnité appelée ne-ngum-tipsil et une compensation.
Droits de Propriété et de Succession
- La propriété privée est sacrée.
- Le mari est dépositaire des droits des enfants.
- En cas de divorce, la femme ne reprend pas la totalité des biens, sauf les bijoux.
- Les enfants du premier lit conservent leurs droits si le mari se remarie.
- La volonté d’un mourant est considérée comme un décret royal. La succession suit principalement la lignée paternelle, mais certaines transmissions par les femmes existent : bijoux et dot.
Sources :
- Les Sherpas du Népal, Christoph von Fürer Haimendorf, Hachette, 1980
- Sherpas, peuple d’Himalaya, Patrick et Christiane Weisbecker, Denoël, 1990
- Sherpas bouddhistes, Henri Sigayret, Vajra Publications, 2006